mercredi 12 décembre 2007

Jack Chick au Far West

Vous allez vraiment finir par croire que j'ai quelque chose contre Jack Chick. La vérité est que, en dehors du fait que c'est un extrémiste religieux qui gagne sa vie en dessinant des tracts de propagande tellement mensongers et immoraux qu'ils en deviennent drôle, je n'ai pas grand-chose de mal à dire de lui.
Cela peut toutefois peut-être être attribué au fait que je ne sais rien d'autre sur lui.

La véritable raison pour laquelle j'ai déjà écrit plusieurs articles sur ses créations est qu'ils sont très rapides à rédiger et ne demandent pas d'effort de ma part. Les images sont déjà prêtes. Mes commentaires s'écrivent tout seul. Je n'ai même pas à me creuser particulièrement la tête pour inventer des absurdités : Jack Chick l'a fait pour moi.

J'aimerais donc remercier de tout mon coeur cet homme hors du commun*, dont j'ai l'honneur de vous présenter l'un des meilleurs tracts :
*dois-je préciser que ce n'est pas forcément un compliment ?


The Gunslinger
(En français : l'homme équipé d'une arme à feu et animé de d'intentions pouvant être qualifiées de malveillantes)
mine de rien, je viens de vous résumer la moitié du scénario
Par Jack Chick

L'histoire commence il y a très longtemps, quelque part au Far West...

Dun dun dun !

Une grand-mère (qui ne semble, soit dit en passant, pas beaucoup plus vieille que sa petite-fille présumée, mais a un fauteuil à bascule, signe indiscutable de vieillesse) est soudain prise de frissons, et en déduit que quelque chose de mauvais vient d'arriver en ville.

Je ne sais pas si vous avez vous aussi eu des grand-parents, mais il arrivait aussi aux miens de frissonner. Plutôt que d'en déduire la proximité d'assassins, les miens attribuaient cela à des courants d'air. Je ne sais pas s'il faut en déduire que tous les grand-parents ont des super-pouvoirs (détection de pistoleros et de courants d'air imaginaires à distance) qui se manifestent par des tremblements incontrôlés, mais cela expliquerait beaucoup de choses.

Mon arthrite se réveille... un cirque itinérant vient d'arriver en ville !

Quoiqu'il en soit, mamy a bien raison : un homme sinistre, habillé de noir et portant des revolvers, vient d'arriver en ville - et il ne rigole pas :

Remarquez la tête grotesque du bébé, qui semble apprécier la situation ou trouve les revolvers particulièrement appétissants. Notez aussi que tous les badaux sont fascinés par le visage du nouveau venu - quelle horrible difformité peut-il bien posséder ?


Jack Chick, véritable maître du suspense, parvient à éviter de nous montrer la tête du mystérieux étranger pendant une case encore :

L'étranger cherche quelqu'un - le tenancier d'un saloon. Plutôt que de demander son chemin (comme le ferait une femme), il fait ce que font tous les hommes lorsqu'ils sont perdus : torturer un quidam jusqu'à ce qu'il révèle le chemin à suivre.
Notez qu'en plus de ses deux pistolets, il possède une lame de taille conséquente.


Enfin, le visage et le métier de notre personnage principal sont révélés :

Révélation : il s'agit d'un assassin engagé pour tuer le pasteur local.

Je vais être franc avec vous : je ne sais pas ce que le visage de l'étranger est sensé avoir de si terrible/fascinant. Est-ce le fait qu'il est mal rasé ? Qu'il a une vague cicatrice sur la joue ? Qu'il est laid ?

Je sais que je suis très mal placé pour critiquer mais, depuis le début de l'histoire, il me semble que tous les personnages présentés se sont distingués par leur laideur. Même le bébé innocent ressemblait à un Yoda miniature, baveux et grimaçant.

Voilà ce que ça a donné quand j'ai essayé de redessiner la première case de ce tract.
Je n'ai donc probablement pas de leçon à donner.

Je ne comprends vraiment pas que les habitants de cette ville puissent être fascinés par un homme habillé en noir avec une cicatrice sur la joue quand le tenancier de leur saloon est un obèse balafré aux goûts vestimentaires douteux avec un rat sur l'épaule.

Je n'ai rien contre les rats ou les gens qui les prennent comme animaux de compagnie mais, si je tenais un bar, un restaurant ou un quelconque établissement dont le succès dépend de la tendance des gens à me payer pour que je leur donne des choses à mettre en bouche, je ne me promènerais pas en exhibant un animal associé à la saleté et à la transmission de maladies sur mon épaule.

Mais je m'égare. Pour en revenir au récit, le patron du saloon explique à l'assassin pourquoi ce pasteur lui pose problème :

Soit sa lame de tout à l'heure a rétréci, soit notre ami l'assassin garde un arsenal impressionnant sur lui.

Depuis l'arrivée du pasteur, les gens ont déserté le saloon ! Ils ont cessé de boire, arrêté de faire des paris et les prostituées se sont mariées.

Bien sûr, cela n'a certainement rien à voir avec le fait que le patron a un rat de compagnie qui est apparemment tellement sale/hideux que même les chats en ont peur.

Notre assassin favori annonce qu'il va aller à l'église du pasteur le dimanche suivant et le tuera avant le lendemain. Je ne suis pas spécialiste en assassinats mais, si je devais tuer quelqu'un, je n'essayerais probablement pas de le faire à l'endroit et au moment précis où il sera entouré de dizaines de gens qui auront le regard posé sur lui et le respectent au point de le considérer comme la voix de Dieu sur Terre.


Pendant ce temps, pas si loin de là...

Un Marshall particulièrement poli et bien élevé est sur les traces du tueur, qui s'appelle apparemment "TOM LE TERRIBLE".

Notez que, si Tom devient un peu plus laid à chaque apparition, les habitants ne sont pas beaucoup plus beaux que lui.
Je ne peux une fois de plus rien faire d'autre qu'admettre mon incompréhension : je ne sais pas ce que Jack Chick a contre les enfants mais il semble apparemment considérer que tous les jeunes du far west étaient des trisomiques béats qui bavaient allègrement.

Cher Jack Chick,
Voilà ce à quoi les enfants ne ressemblent pas.
Amicalement, Paul Binocle.



Nous en revenons ensuite à l'assassin, qui a pris sa place à l'église et écoute le discours du pasteur :

Comme dans l'exorciste !

Le pasteur ordonne au diable de quitter la salle, ce qui a pour effet de donner très chaud à TOM LE TERRIBLE, qui est de nouveau un peu moins laid qu'avant.

Pour ceux qui n'auraient pas tout suivi, je résume : la présence du mal fait frissonner (les vieilles dames en tout cas) et son départ donne chaud (aux assassins en tout cas).

Vous l'aurez compris, en quelques mots, le pasteur parvient à transformer TOM LE TERRIBLE en un chrétien exemplaire :

Apparemment, Jésus est mort sur la croix pour racheter le pêché originel et est prêt à tout nous pardonner à condition qu'on l'accepte dans notre coeur. Sacré chic type, sauf que...

...ce que Chick raconte ici est ouvertement en contradiction avec d'autres de ses tracts, notamment celui où il explique qu'un chrétien exemplaire et le pape lui-même finissent en enfer pour avoir commis des pêchés aussi terribles que "vénérer une représentation de la Sainte Vierge" ou "avoir considéré que Jésus avait racheté le pêché originel en mourant sur la croix alors que seul son sang, absorbé oralement, peut laver le pêché".


Quoi qu'il en soit, cela n'a pas beaucoup d'importance, parce qu'une mauvaise surprise attend notre assassin repenti :

BUSTED

Le Marshall a ramené des amis et le place en état d'arrestation.

Je connais quelqu'un qui va devoir faire des travaux d'intérêts généraux tout en portant un t-shirt expliquant le crime qu'il a commis ! (véridique - aux USA en tout cas)

Tom le Terrible est condamné à mort pour ses crimes, mais il meurt l'âme en paix et avec la certitude qu'il sera bientôt aux côtés de Dieu, au paradis.


Et vous savez quoi ? Il a raison :

"Tom le Terrible a eu exactement ce qu'il méritait", dit le Marshall sans peur et sans reproche.
"Kikou Tommy !" s'écria Dieu en accueillant l'assassin au paradis. "J'ai préparé du gâteau !"


Mais l'histoire n'est pas finie : le cas du Marshall n'a pas encore été réglé.

"Tom est mort, Marshall. Maintenant, quand allez-vous accepter Jésus comme votre Sauveur, comme il l'a fait (cela l'a visiblement amené très loin) ?"

Le Marshall est persuadé d'être tellement honnête, tellement respectueux des lois et tellement bon qu'il ne peut que finir au paradis.

Chic type, ce marshal. J'espère qu'il ne lui arrivera rien de mal.


Un peu plus tard, le marshal se fait mordre par un serpent et meurt. Que lui arrive-t-il alors ?

Réponses possibles :
1) il arrive au paradis et fait la paix avec Tom le Terrible
2) il arrive au paradis et convainc Dieu que Tom le Terrible n'y a pas sa place
3) il se fait emmener en enfer par ce qui ressemble à des membres du Klux Klux Klan et souffre pour l'éternité

Si vous avez choisi la réponse 3, félicitations ! Vous avez l'esprit aussi tordu que Jack Chick :

"Oui, tu as été un homme bon, tu as risqué ta vie pour faire respecter la loi pour que d'autres n'aient pas à le faire, mais tu n'es jamais allé dans une église pour y suer abondamment et dire à Jésus que tu le trouves cool."



HAPPY END

Le méchant assassin qui a demandé rédemption à la dernière minute coule désormais des jours paisibles au paradis (et a même apparemment bénéficié d'un lifting gratuit), tandis que le shérif courageux et sans défaut est transformé en torche humaine jusqu'à la fin des temps.


Moralité :
1) Jésus pardonne tout si on le lui demande.
2) Cela ne sert à rien d'être quelqu'un de bien, il suffit de demander pardon à Jésus avant votre mort et vos pires pêchés seront oubliés.
3) Autre avantage à ne le faire que juste avant votre mort : vous n'aurez pas eu à aller à l'église de toute votre vie, à lire la Bible ou quoi que ce soit.

Le paquet contient du Jésus solidifié (ou peut-être juste une hostie).

Je comprends que le message est supposé être "il y a de l'espoir pour tout le monde, la capacité de pardon de Jésus est infinie", mais était-il nécessaire d'envoyer le Marshall en enfer ?

Si Dieu se moque que l'on soit bon ou mauvais et utilise juste "me vénère-t-il ou pas ?" comme critère d'entrée au paradis, cela vaut-il vraiment la peine d'être bon ? Un tel Dieu mérite-t-il d'être vénéré autrement que par peur de l'enfer ?

N'oublions pas non plus que la justice divine présentée ici est une version très édulcorée de celle qui apparaît dans cet autre tract, selon lequel la plupart des chrétiens (à savoir tous ceux qui sont moins extrémistes que Jack Chick) finiront en enfer malgré le fait qu'ils ont "accepté Jésus dans leur coeur" et ont été baptisés.


Pour terminer, j'aimerais remercier Jack Chick pour la leçon morale profonde qu'il nous a donnée aujourd'hui : "commettez n'importe quoi en toute impunité, mais n'oubliez pas de demander pardon à Jésus après".
J'aimerais aussi vous montrer une image aussi stupide que sans rapport :

Moïse est probablement allé en enfer à cause de ça.