dimanche 30 décembre 2007

Une réponse à mon article sur Bernard Werber

Mon article sur "Le Mystères de Dieux", le dernier livre de Bernard Werber, n'a pas laissé tout le monde indifférent.

Un lecteur, Pierre F, m'a écrit un message qui m'a semblé digne d'intérêt. Avec son autorisation, je vais reproduire ci-dessous ce message (en bleu) et ma réponse (en noir).


Attention - cet article contient de gros spoilers pour le livre et est probablement sans le moindre intérêt pour ceux qui ne l'ont pas lu.



Bonsoir cher Paul Binocle, j'aimerais réagir à votre article sur Benard Werber.


Bonsoir Pierre F.,

Tout d'abord, merci beaucoup d'avoir pris le temps de me lire et de m'écrire.



J'ai trois remarques à faire concernant la trilogie "Le Mystère des Dieux" :

- Plusieurs fois dans l'article se pose la question de la pertinence de l'utilisation de personnages célèbres. La présence de ces personnages est expliquée dans le livre. Les élèves dieux sont choisis en fonction de leurs actes et de leur importance. Les thanatonautes ayant été choisit car étant les premiers explorateurs de la mort. Du point du récit, je pense que l'utilisation de personnages célèbres apporte beaucoup de possibilités scénaristiques ou annecdotiques. Le récit est hors du temps, des personnages de toutes les époques se croisent, se parlent, se combattent...le fait que ce soit de grandes figures françaises rend l'histoire plus passionnante...


Bien sûr, la présence de ces personnages célèbres est justifiée d'un point de vue scénaristique.

Cependant, pour moi, leur présence n'a pas rendu l'histoire plus passionnante. Sur le principe, l'idée de faire interagir des personnages de différentes époques est formidable.

Dans l'exécution, j'ai trouvé ça très peu convaincant. Je réalise qu'il doit être extrêmement difficile de mettre en scène des personnages célèbres dans des situations inédites sans contredire l'image que les gens se font d'eux ou en faire des stéréotypes sans la moindre profondeur - mais, après tout, rien n'obligeait Werber à introduire ces personnages dans son récit.
De plus, je n'ai vu pratiquement aucune interaction entre ces personnages, ce qui était pourtant une idée très prometteuse.
Autrement dit : l'idée avait beaucoup de potentiel et, lorsque vous la décrivez, elle paraît en effet géniale. Elle a cependant été très mal exploitée dans le cycle des dieux.


En toute honnêteté, en lisant ces livre, j'ai eu la désagréable impression de lire un de ces crossovers bizarres que des gens écrivent sur internet et dans lesquels ils se sentent parfois obligés de s'auto-insérer (avec généralement à la clé des scènes d'amour entre l'auteur et les personnages imaginaires).

Ces récits sont rarement réussis, et ce pour plusieurs raisons :

  • ils sont généralement rédigés par des amateurs qui ne savent absolument pas écrire (ce n'est à mon sens pas le cas de Werber !)

  • les personnages auxquels les lecteurs sont habitués y agissent parfois d'une manière contraire à l'idée que les lecteurs s'en font (et c'est pire encore dans le cas de personnages historiques : je ne pense pas être le seul à avoir grimacé en lisant le passage où Joseph Proudhon révèle qu'il est responsable de l'existence du "Hitler" de Terre 18 et est à la tête d'une grande conspiration des forces du "mal" !)

  • ils sont avant tout une mise sur papier des aventures imaginaires de l'auteur, qui sont par nature très personnelles et donc difficiles à partager. Même le lecteur moyen d'un crossover entre Star Wars et Star Gate risque de trouver bizarre et/ou inintéressante la scène où le personnage principal va à la pêche avec Han Solo et Teal'c (je parlerai davantage de cela dans ma réponse à votre seconde remarque)

  • l'utilisation de personnages et d'un contexte déjà connus des lecteurs est parfois un moyen pour l'auteur de ne pas se creuser la tête pour en inventer lui-même et pour ne pas perdre de temps à les développer (je ne peux pas juger si c'est le cas de Werber, ce genre de chose ne me dérange en tout cas personnellement pas tant que le récit est intéressant)


- Je ne suis pas d'accord sur l'analogie facile avec Harry Potter sous prétexte que l'auteur utilise un apprentissage "scolaire" comme parcoure initiatique. Celon moi, "le mystère des dieux" fait plus penser à ceci:

http://www.silicon-fusion.com/games/PC/3426/26.jpg

Et je crois que c'est ce qui m'a le plus passionné dans le livre.

En effet, je pense que l'analogie entre les jeux de gestion et le jeu d'Y a plu à beaucoup de lecteurs. Bien que je ne l'ai pas mentionné dans mon article, je trouve moi aussi qu'il s'agit d'une bonne idée et j'ai apprécié l'imagination dont Werber a fait preuve en imaginant les différents peuples et leurs interactions.

J'ai toutefois été un peu déçu par la fin du jeu, une copie conforme de la seconde guerre mondiale. Même s'il est évident qu'il tirait son inspiration d'évènements historiques réels, Werber avait jusque-là évité de tomber dans la simple copie (je reconnais toutefois que par la suite, cette similitude entre les évènements de Terre 18 et de notre histoire trouve une justification scénaristique).

[Au passage, je n'en ai pas parlé dans mon article mais je n'ai de plus pas compris pourquoi l'arrivée des "Américains" sur la Lune était considérée comme un critère de victoire. Même si le symbole est fort, pourquoi donc marquerait-il la victoire suprême d'un peuple ? Faut-il comprendre que la technologie est le seul critère de victoire ?
Que les USA constituent le summum de ce qu'un peuple peut atteindre ? Que leur suprématie sur le reste du monde était totale et inévitable à la fin de la seconde guerre mondiale ?
La capacité d'un peuple à s'adapter et à résister aux situations les plus difficiles, comme l'ont fait les "dauphins", ne serait-elle pas un critère de victoire tout aussi valable ?]


Lorsque j'ai parlé de "Harry Potter", je faisais moins allusion à l'aspect scolaire du parcours initiatique qu'aux péripéties des personnages principaux en dehors des cours. Je n'ai honnêtement pas compris la nécessité de la plupart des scènes du type "Michaël Pinson versus un personnage de la mythologie grecque", qui m'ont parues au mieux inutiles, au pire, ridicules.

Werber écrit très bien des choses philosophiques mais est-il nécessaire de les enrober de scènes tirées d'un mauvais roman d'aventure ? Des passages comme celui où Pinson doit s'échapper de chez Atlas ou des détails comme "Zeus mange du popcorn en regardant les mortels s'entretuer" ont nui à mon immersion dans le récit et m'ont poussé à me demander ce qui se passe dans la tête de l'auteur.
Ces scènes m'ont donné le sentiment que, plongé dans son univers fantastique personnel, Werber a perdu de vue le "sens du ridicule" ou, plus exactement, a perdu de vue que les idées qui semblent formidables dans sa tête risquent d'être moins convaincantes une fois couchées sur papier.
Bref, j'ai l'impression que Werber a perdu de sa capacité à porter un jugement objectif et critique sur ses textes car il s'y était trop impliqué émotionnellement.

Dans la plupart de ses livres, il est pourtant parvenu à établir un équilibre intéressant entre les aventures des personnages principaux, visant à tenir le lecteur en haleine, et le message plus profond qu'il essaye de faire passer.
De mon point de vue, cette sauce n'a pas pris dans le cycle des dieux - et la faute en incombe au côté trop personnel des aventures des personnages, qui paraissent certainement géniales à l'auteur (qui est vraiment "dedans") et à la partie des lecteurs qui parvient à les apprécier, mais laissent complètement de marbre ou font rire ceux qui n'arrivent pas à les partager.




- Concernant les conquêtes amoureuses du héro au cours de ses aventures (au nombre de 5 si je me souvient bien, dont 3 dans la trilogie finale) : Pour moi, il est évident que ce cher Bernard nous projette une bonne partie de ses fantasmes dans ses livres: le héro séduit une infirmière, la déesse de l'amour, une espionne connue pour ses méthodes douces etc...sans compter les innombrables passages narrant des pratiques sexuelles diverses et variées...

Comme je l'ai dit plus haut, c'est précisément ce qui me gêne : le lecteur peut-il réellement adhérer aux fantasmes personnels de l'auteur (et j'utilise le mot au sens large : je ne parle pas seulement des scènes d'amour mais aussi, plus globalement, des aventures de Michaël Pinson en Aeden, dont je parlais plus haut) ?

Dans mon cas, la réponse a été "non". Visiblement, d'autres ont eu moins de difficultés que moi à apprécier ces passages.





Quatrieme remarque parce que j'ai envie de parler ce soir:
La fin est en effet très décevante, mais pas dans le sens du "tout ça pour..;ça", mais plutôt "mais bon sang pourquoi avoir torcher l'écriture de cette superbe fin!". Superbe fin, unique dans le genre, j'ai eu l'impression d'être "l'oeil", mieux, par son écriture Werber à fait que le lecteur SOIT "l'oeil". Bref, fallait oser, et il l'a fait. Mais dommage d'avoir balancé ça d'un bloc dans une succession d'évènements trop rapide.



Comme vous, j'ai beaucoup apprécié la révélation finale.
Cette fin n'a pourtant pas fait l'unanimité (je reste stupéfait que ce critique sur Fnac.com l'ait qualifiée de "ridicule" : le reste de l'histoire l'était-il beaucoup moins ?).

Je me demande cependant si Werber l'avait prévue depuis le départ : je crois me souvenir que, dans un des tomes précédents du cycle des dieux, l'un des personnages envisageait la possibilité qu'il ne soit qu'un personnage d'un roman, ce que j'avais pris pour un simple clin d'oeil au lecteur.


Malheureusement, vu que je n'ai (toujours) pas terminé le livre, je ne peux pas vraiment juger si sa conclusion est précipitée (j'ai lu les dernières pages, mais j'ignore comment elles s'intègrent au reste du récit).

Ceci dit, l'avis que vous avez sur sa fin semble refléter mon point de vue sur l'ensemble du cycle des dieux : de bonnes idées dans le fond, mais une mauvaise exécution en ce qui concerne la forme.



Voila ma réponse, à vous de juger de sa pertinence.

Je la trouve très pertinente et utile, puisqu'elle met en évidence que les aspects qui livre qui m'ont dérangé ont plu à d'autres.
Au final, tout reste une question de goûts.
Aucun livre ne peut faire l'unanimité. J'ai toutefois l'impression que Le mystère des dieux a fait plus de mécontents que les autres livres de Werber.

En tout cas, il ne faut pas prendre mon article trop au sérieux : je reste convaincu que Werber est un bon auteur et a des choses intéressantes à dire, bien que je déplore qu'il s'y soit mal pris (selon moi en tout cas) dans le "cycle des dieux" pour les transmettre.



En vous souhaitant une bonne fin de soirée.

Pierre F.



Encore merci pour votre message et bon week-end,

Amicalement,

Paul Binocle





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