jeudi 27 décembre 2007

Bernard Werber et le mystère des dieux

Je sais que je ne vais pas me faire des amis en écrivant cela. Mais il faut que je le fasse.

Il est temps que quelqu'un pose la question :

Qu'est-il arrivé à Bernard Werber ?


Mais avant toute chose, deux petites remarques :

1) Bernard Werber - si tu me lis, je suis désolé pour ce qui va suivre. J'ai vu des interviews que tu as faites à la sortie du Mystère des Dieux et il est évident que tu as mis tout ton coeur dans cette série de livres.

2) Gare aux spoilers : si vous n'avez pas encore lu ce livre et avez l'intention de le faire, je vous déconseille fortement de lire la suite de cet article, qui révèle une partie du scénario et risque d'influencer votre opinion.


Pour ceux qui n'ont pas lu le livre et n'ont pas l'intention de le lire, voici quelques illustrations qui devraient vous aider à mieux comprendre ce dont je veux parler :











Tout cela est véridique : même si je le voulais, je pense que je serais incapable d'inventer moi-même des choses pareilles.

[Le reste de l'article est juste une critique du livre, avec beaucoup de textes et très peu d'images. Si ça ne vous intéresse pas, je vous invite à passer tout de suite au bout de l'article, où vous attend une image stupide et sans rapport avec le sujet]


Je vais être honnête avec vous : je n'ai pas fini de lire Le Mystère des Dieux, mais j'en ai déjà parcouru les dernières pages* (c'est même la première chose que j'ai faite lorsque l'on me l'a offert et la principale raison qui m'a poussé à lire le reste).

*certains d'entre vous diront qu'il est incorrect de lire les dernières pages d'un livre avant le reste. C'est totalement faux ! Tous les grands critiques littéraires le font. C'est un peu comme mettre du vin en bouche puis le cracher : la plupart des gens désapprouveraient ce genre de conduite et pourtant, c'est ce que font les grands oenologues.
Dit autrement : les critiques ont le droit de faire ce qu'ils veulent, dans la mesure où il n'existe pas de "critiques de critiques".



Bref, j'ai lu ces dernières pages et je les ai trouvées excellentes : originales et audacieuses. Werber y rompt avec les conventions de la littérature pour essayer de faire quelque chose qui n'a, à ma connaissance, pas été fait avant.
Je suis persuadé que beaucoup auront trouvé cette fin ridicule ou absurde mais, même pour moi qui l'ai beaucoup appréciée, je suis obligé de constater :

C'est bien, mais cela ne justifie pas la lecture des quatre suites des "Thanatonautes".


Je me suis dit que vous alliez vous embêter si je ne mettais pas une image de temps en temps. Voici donc "le socle du monde", une oeuvre d'art qui change plus efficacement votre manière de voir les choses qui vous entourent que les derniers bouquins de Werber.


J'ai très superficiellement fait des recherches sur internet pour voir si j'étais le seul à avoir cet avis sur ces derniers livres de Bernard Werber.

Voici un exemple de critique de lecteur :
9 ans de maturation pour gâcher toute une saga par une révélation final ridicule
Un internaute d'Annemasse, sur Fnac.com

Prenez vos calepins, amis lecteurs, car voici un scoop : il n'y a selon moi pas de maturation entre Les Thanatonautes, paru en 1994 et Le Mystère des Dieux, paru en 2007.

Bien sûr, le style de Werber a évolué (vers un style beaucoup plus simple et épuré que beaucoup critiquent et qualifient même de non-existant, mais qui ne me dérange personnellement pas).

Pourtant, cela n'a pas empêché chaque livre de la série de me sembler plus mauvais que le précédent.

Pourquoi ? Parce qu'à chaque livre, je voyais de moins en moins où Werber voulait en venir, les messages philosophiques me paraissaient de plus en plus naïfs et, surtout, parce que le scénario devenait de plus en plus ridicule.


Pour ceux qui ne les auraient pas lus ou ne comprendraient pas d'où me vient cette impression, voici comment je me rappelle de ces livres :

1) Les thanatonautes : les personnages principaux découvrent que "la vie après la mort" existe réellement et entreprennent de l'explorer (ou plus exactement, explorent le fameux "tunnel de lumière" supposé guider les morts vers l'au-delà dans les témoignages d'expériences de mort imminente) sans mourir pour autant.

Le livre a le mérite d'être original et de poser des questions intéressantes : que se passerait-il si l'existence d'une vie après la mort devenait un fait établi ? À quoi pourrait-elle ressembler ?

Les Thanatonautes a non seulement le mérite de faire réfléchir mais aussi d'enseigner aux lecteurs comment différentes cultures et religions envisagent la vie après la mort.

Quelqu'un qui a des lunettes ne peut pas être totalement mauvais.


2) L'empire des anges : les personnages principaux meurent pour de bon et deviennent des anges, chargés de s'occuper de trois mortels chacun pour en faire des "gens bien" s'ils veulent accéder à l'étape suivante dans leur évolution spirituelle.

C'est avec ce livre que mon opinion sur Werber, jusque-là très positive, a commencé à changer, pour deux raisons principalement :
  • le manque croissant de rigueur dans ce qu'il écrit, tant dans l'histoire elle-même (cancer du nombril...?) que dans les passages de l'Encyclopédie du savoir relatif et absolu, que beaucoup de lecteurs considèrent pourtant comme une source fiable d'informations. C'est principalement ce dernier point qui me gêne : il est évident pour tout le monde que l'histoire elle-même est une invention de l'auteur, mais il n'en va pas de même pour l'Encyclopédie, qui met sur le même pied des faits avérés, des hypothèses (qui ne sont pas présentées comme telles mais comme des faits) et ce qui semblent être de pures inventions de l'auteur. Il en résulte que ces hypothèses et inventions bénéficient auprès du lecteur d'une légitimité qu'elles ne devraient pas avoir.
  • l'introduction de célébrités du passés comme personnages principaux. Était-il vraiment nécessaire que l'ange gardien du narrateur soit Emile Zola ? Que son ami rabbin sorte avec Marilyn Monroe, ange elle aussi, et qu'elle les accompagne dans leurs voyages intergalactiques à des vitesses supraluminiques et dans leurs combats à coup "d'épées d'amour" ?

C'était la devise des personnages principaux, qui est à prendre littéralement.
Les méchants quant à eux utilisaient la haine pour épée et la moquerie comme bouclier.


À la fin de l'Empire des Anges, les protagonistes parviennent à accomplir leur but et ont accès à "ce qu'il y a au-dessus".


3) La trilogie des Dieux : je n'ai été qu'à moitié convaincu par l'Empire des Anges et j'espérais que la dernière partie de la série me réconcilierait avec elle. Au lieu d'un seul et dernier tome, Werber a cependant choisi de le diviser en une trilogie.

Je n'arrive honnêtement pas à m'expliquer cette décision : je n'ai absolument pas accroché aux aventures des personnages dans ces derniers tomes et, en dehors de la conclusion du dernier livre, je ne parviens pas à trouver la raison d'être de ces ouvrages.
Arrivé à la fin du premier tome, je me suis juste dit "c'est tout ?" sans comprendre le moins du monde où Werber avait voulu en venir.

Le second tome ne m'a pas plu davantage que le premier. Pour être tout à fait franc, voici le souvenir que je garde de ces deux livres :

Remplacez les baguettes par des ankhs et remplacez le côté "livre pour enfant qui ne se prend pas au sérieux et vous fait rêver" par "livre qui se veut sérieux et que beaucoup trouveront certainement très profond et philosophique alors que pour vous, il ressemble aux rêves enfiévrés d'un adolescent qui a lu un livre de mythologie avant d'aller au lit."

Quant au troisième tome, je n'en ai encore lu que le début et la fin, mais vous avez pu vous faire une idée de mes premières impressions via les quelques images du début de cette article. Les défauts cités précédemment sont de retour... en pire :
  • la quasi-totalité des personnages sont désormais des célébrités. Pire que cela, une grande partie d'entre eux sont les dieux et créatures diverses de la mythologie grecque. Je ne plaisantais pas non plus en parlant de "Zeus qui mange du popcorn" tout à l'heure ou du fait que le personnage principal couche avec Aphrodite et Mata Hari.

Mes talents en photoshopologie n'ont jamais été aussi évidents qu'aujourd'hui.

  • Malgré le fait que, dans chaque tome, les personnages aient fait preuve d'un minimum d'élévation spirituelle et aient surmonté ensemble des épreuves par la force de l'Amour, le meilleur ami du personnage principal le trahit quand même, et le personnage principal tue quand même trois personnes. Je ne sais vraiment pas quel est le message que Werber voulait faire passer. "Même les gens qui ont réussi à devenir Anges, puis élèves-dieux sont encore des primates incapables de se comporter de manière civilisée" ? Après quatre tomes de quête spirituelle, le protagoniste semble être devenu plus immature qu'au départ.
    • Pour la défense de Werber, ces comportements absurdes et contraires à l'évolution des personnages sont peut-être expliqués dans la partie du livre que je n'ai pas encore lue.

Tandis que je me demandais quel pouvait bien être le message que Werber avait cherché à transmettre à ses lecteurs par l'intermédiaire de ces derniers livres, je suis tombé sur une interview qui explique à mon sens beaucoup de choses :


Mon impression ? L'analogie que je faisais plus haut avec les rêves d'un adolescent est valide.

Visiblement, Bernard Werber a pris beaucoup de plaisir à écrire ces livres, à imaginer les peuples de la planète par l'intermédiaire desquels les élèves-dieux s'affrontent et cet univers fantastique où vivent les Dieux. Il est passioné lorsqu'il parle de ses personnages, on sent nettement qu'il a mis beaucoup de lui-même dans ces livres.

Cependant, les questions qui me paraissent essentielles sont :
  • Le lecteur peut-il adhérer aux fantasmes de l'auteur ? (et je ne parle pas juste de sa passion pour une déesse grecque et une espionne morte depuis 90 ans)
  • Y a-t-il réellement, comme le prétendent les fans sans parvenir pourtant à expliquer de quoi il s'agit, un message philosophique profond à tirer des aventures du protagoniste ?
    • Autrement dit : faut-il chercher davantage de sens à la plupart des évènements de ces livres (le personnage rentre en cachette chez Atlas et se fait repérer, le personnage rencontre des muses, l'un des personnages est un assassin...) qu'à ceux d'un roman fantastique quelconque (Harry Potter suit un cours de botanique, Harry Potter doit faire trois heures de colle, ...) ?

  • Où Bernard Werber achète-t-il ses substances psychotropes ?
    • C'est pour rire ! Ne me lynchez pas !

Je suis personnellement tenté de répondre non aux deux premières questions. Les idées qui paraissaient formidable dans la tête de Bernard Werber ("et là, Mata Hari tombe amoureuse de lui !") vont paraître désastreuses aux lecteurs ayant une sensibilité et un sens du ridicule différents des siens.

À part faire plaisir à Bernard Werber et donner par sa mort un semblant de justification aux pulsions meurtrières du personnage principal, quelqu'un peut-il m'expliquer le rôle de Mata Hari dans le récit ? De toutes les femmes célèbres, pourquoi a-t-il fallu que ce soit elle ? Et pourquoi fallait-il que ce soit une femme célèbre, d'ailleurs ?

Je ne pense pas qu'il y ait de "messages cachés" dans le livre : il me semble bien au contraire que Werber a une tendance presque pénible à tout rendre particulièrement explicite et évident. Même en admettant qu'il y en ait, le fait qu'une grande partie des lecteurs ne semble pas les avoir saisis signifie que le livre est un échec : un texte qui ne parvient pas à transmettre son message est inutile.


Encore désolé pour Bernard Werber - cela ne doit pas être amusant de s'investir autant dans une oeuvre puis de la voir se faire critiquer de cette façon. D'un autre côté, il semble avoir pris tellement de plaisir à les écrire que cela doit grosso modo s'équilbrer.

Quant à vous, ses fans qui se gargarisent d'avoir compris le "sens profond caché" vraisemblablement non-existant de ses derniers livres : félicitations ! Je suis sincèrement ravi pour vous que vous ayez réussi à tirer de ces ouvrages quelque chose qui m'a complètement échappé et que l'auteur n'a à mon sens pas mis dedans.

Ceci dit, si vous pouviez arrêter de traiter "ceux qui n'ont pas compris" comme des imbéciles finis et cesser de jouer les mystérieux lorsqu'ils vous demandent d'expliquer ce qui leur a échappé, ce serait chouette.



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Les e-mails grossiers ou non constructifs ne seront pas publiés.
C
Mise à jour du 30-12-2007 : un lecteur, Pierre F., m'a envoyé un e-mail. Cliquez ici pour le lire.


Pour terminer, voici comme promis une image sans rapport :

Pourquoi payer une crèche ?