dimanche 7 février 2010

Jack Chick contre les Indiens

J'ai lu sur un site américain une hypothèse intéressante : Jack Chick, le célèbre dessinateur chrétien fondamentaliste américain qui n'aime ni les péchés, ni les musulmans, ni les homosexuels, ni Halloween, ni le rock, ni les vampires, ni le pape, serait en train de devenir sénile.

Je sais que cela peut paraître incroyable, mais réfléchissez-y : ses premiers tracts ne brillaient pas par leur cohérence ou la fidélité de leur description du monde réel mais, dans ses derniers tracts, Jack Chick nous a notamment parlé de l'antéchrist (qui est aussi un gentil vampire), du Diable (déguisé en citrouille et armé d'une tronçonneuse) et de chanteurs (qui sont aussi des pédérastes et/ou des vampires). S'il faisait partie de votre famille, les gens commenceraient sans doute à parler de lui à voix basse et à suggérer de l'envoyer dans une résidence pour seniors.

Dans l'épisode d'aujourd'hui, Jack Chick va aborder un sujet délicat : la culture des Indiens d'Amérique. Comment parler d'un thème aussi sensible, lorsque l'on est soi-même le descendant de colons qui ont exterminé les Indiens pour piller les ressources du continent et y imposer leur culture, en se réfugiant derrière quelques passages de la Bible tirés de leur contexte pour justifier leurs actions ?

Découvrez-le avec moi dans...

CRAZY WOLF



Si la télévision m'a appris une chose sur les Indiens, c'est que, comme les Schtroumpfs, ils ont tous reçu à la naissance un nom caractérisant leur futur caractère, les contraignant à se comporter d'une manière bien précise pour le reste de leur vie. Sans doute le Schtroumpf grognon aurait-il pu connaître une vie heureuse si ses parents n'avaient pas décidé, quelques minutes après sa naissance, de le condamner à une existence passée à singer une unique émotion sans jamais pouvoir en ressentir d'autres.

Sans doute est-il arrivé au Schtroumpf Grognon lors de nuits sans sommeil, lorsqu'il était sûr que personne ne pouvait le voir, de laisser couler ses larmes et de souhaiter secrètement pouvoir prendre la place du Schtroumpf farceur, du Schtroumpf paresseux, du Schtroumpf heureux, ou même de l'insupportable Schtroumpf à lunettes. Mais lorsque l'aube se levait, il chassait ces pensées, enfilait son costume et se préparait psychologiquement à râler toute la journée.

Il est grognon parce qu'il aimerait pouvoir sourire

Ceci dit, l'analogie n'est pas très bonne puisque les Indiens ont, c'est bien connu, un nom qui n'est pas uniquement composé d'un adjectif mais aussi du nom d'un animal, comme « Castor courageux » ou « Bison fûté ».

Il serait probablement plus correct de comparer les noms d'Indiens tels qu'ils apparaissent dans la culture populaire à ceux des méchants robots dans Megaman X, comme Armored Armadillo ou Frost Walrus.

Un futur sombre et sans espoir, déchiré par une guerre fratricide entre des robots dotés d'une conscience et d'une intelligence humaines. Parmi eux, une machine à tuer en forme de mammouth armé d'un lance-flamme.

Tout cela pour dire que ce tract contient un Indien qui s'appelle « Crazy Wolf », ce qui signifie « Loup fou » en français, ce qui serait un nom formidable pour un méchant dans un film de Kung-Fu. Si vous n'avez pas tout suivi, ce n'est pas grave. Je viens de lire le tract en entier et mon cerveau n'en est pas ressorti intact. D'ici quelques minutes, quand vous aurez subi le même traitement, tout deviendra beaucoup plus clair.


L'histoire commence alors que deux vieilles femmes indiennes parlent. Le lecteur voit immédiatement qu'elles sont indiennes parce que l'une a une plume dans les cheveux et l'autre a des grandes oreilles percées.

Apparemment, la Vieille Marie (c'est une indienne aussi mais elle n'a pas un nom indien, sauf si on considère Marie comme une sorte d'animal) est devenue folle : elle s'est détournée des dieux indiens et vénère désormais le Dieu Blanc.

La couverture de ce documentaire m'avait donné l'espoir que Dieu avait le teint un peu jaune, mais non : il est apparemment bien blanc dans l'univers de Jack Chick.

J'aimerais prendre quelques instants pour vous faire remarquer qu'il est difficile d'en vouloir à une femme appelée Marie de devenir croyante, qu'elle soit indienne ou pas. Comme je le suggérais plus haut, si vous appelez votre fils "Grognon", il ne faut pas vous étonner s'il n'est pas particulièrement épanoui et si vous l'appelez "Jésus", il ne faut pas venir vous plaindre s'il se laisse pousser la barbe et refuse de mourir.

Quoi qu'il en soit, ces vieilles indiennes ont dit à leurs enfants de ne plus jamais parler à la Vieille Marie. Cela ne leur suffit cependant pas :


Elles n'aiment pas vivre si près de Marie et aimeraient la faire taire une bonne fois pour toute. Un sorcier a par trois fois essayé de lui jeter un sort dans ce but, sans succès : un pouvoir étrange le bloquait.

Heureusement pour elles, il existe une alternative :


Il existe un puissant sorcier appelé Crazy Wolf mais seul Henry, le cousin de Margaret (Miss Plume 1923, à gauche sur les images), sait où il habite. Les vieilles femmes décident de faire appel à ses services...


Une semaine plus tard, elles remettent des cheveux et rognures d'ongle de Marie à Henry. Celui-ci explique qu'il sera de retour dans six jours, pour dire si Crazy Wolf va tuer Marie ou pas.

« Bien ! Nous verrons si son Dieu est si fort contre notre sorcier ! » dit Margaret, probablement juste avant d'éclater d'un rire diabolique. Le suspense est insoutenable.


Avant que Henry s'en aille, Margaret lui pose une dernière question : « Crazy Wolf est-il un skin walker (un sorcier capable de se transformer un animal) ? », mais Henry répond « Il a tué son frère, à toi de me le dire! », ce qui ne répond absolument pas à la question.

Henry s'en va ensuite. Il constate bientôt qu'il est proche du repère de Crazy Wolf, puisqu'il y a un homme attaché au sol et et des serpents pendus à l'entrée.

J'ai toujours rêvé d'avoir une portière en serpents



Henry arrive chez Crazy Wolf et s'adresse à sa secrétaire, qui lui explique que Crazy Wolf attendait sa venue mais a tout de même décidé de tuer un intru avec de la poudre de cadavre. Jack Chick précise à tout hasard qu'il s'agit des phalanges de mains et de pieds ainsi que de lobes d'oreilles de cadavres écrasés, au cas où le lecteur aurait cru qu'il s'agissait d'un euphémisme pour du sucre.

Crazy Wolf est, évidemment, très laid. Il accepte l'argent et la photographie (les cheveux et les ongles étaient apparemment superflus) et assure qu'à la pleine lune, il tiendra le coeur de Marie en main.


Trois jours plus tard, Henry annonce la bonne nouvelle. Il tremble encore en repensant à Crazy Wolf et dit qu'il se cachera lorsqu'il viendra.


Changement de scène : une femme qui doit être Marie dit bonjour à des enfants, mais ils lui répondent qu'ils la détestent, qu'elle va mourir et que Crazy Wolf la tuera à la pleine Lune. Rétrospectivement, faire part de projets d'assassinat à des enfants n'était peut-être pas la meilleure chose à faire.

Leur mère apparaît rapidement et confronte Marie : son Dieu à la peau blanche !, parce que c'est apparemment la couleur de la peau de son Dieu qui est importante et non le fait qu'elle ait abandonné les croyances et traditions de ses ancêtres. Marie rétorque que Jésus était plutôt basané, mais heureusement pas suffisamment pour que cela soit perceptible dans les tracts en noir et blanc de Jack Chick.


Margaret dit à Marie que son dieu solaire est le plus fort, mais Marie répond que Jésus a créé le Soleil. Margaret la traite de menteuse et annonce que ceci est une guerre entre leurs dieux.

Marie s'empresse d'appeler son pasteur pour lui expliquer la situation. Celui-ci est apparemment déjà au courant de la situation et a mis l'église au courant, mais avait par contre visiblement oublié de prévenir la principale intéressée. Lorsque Marie prononce le nom de Crazy Wolf, son pasteur la prévient qu'il s'agit d'un puissant sorcier et d'un skin walker.

Le soleil se couche et la pleine lune approche, Crazy Wolf sera bientôt là.

« Qui est avec toi, Marie ? » s'enquière le pasteur.

« Juste Jésus et moi », répond-elle.

« ... et mon Kung-fu », lui rappela Jésus avec un clin d'oeil.

La nuit tombe. Crazy Wolf commence un étrange rituel :


Je dois vous avouer que je ne connais pas très bien le folklore des indiens d'Amérique. Il est possible qu'ils mettent parfois réellement ce genre de masque et utilisent des serpents comme bracelet pour invoquer des démons. Il est aussi possible que les démons indiens ressemblent suspicieusement au diable et au croisement entre un serpent et une pieuvre.

L'esprit de Crazy Wolf, possédé par le diable s'envole vers la maison de Marie et se transforme en monstre. Au cas où vous vous seriez demandé à quoi ressemble votre esprit, il s'agit d'une copie conforme de votre corps sauf qu'il peut voler, changer d'apparence et être possédé par le malin.

Pendant ce temps, Marie prie Dieu de la défendre et d'envoyer des anges pour la défendre. Dieu répondra-t-il à sa prière ? Les anges arriveront-ils à temps ? Qui connaîtra une rédemption de dernière minute et qui ira en enfer ?


L'esprit de Crazy Wolf s'est transformé en loup fou, ce qui me fait un peu regretter de m'appeler « Paul Binocle » plutôt que « Tyrannosaure laser ».

Ce que mon corps spirituel aurait pu être.

Il a toutefois la politesse de frapper à la porte et d'annoncer clairement à Marie son intention de la tuer, avant de l'ouvrir en précisant « Me voilà ».

Heureusement, Dieu répond juste à temps aux prières de Marie :


Un ange arrive et attrape le loup par la peau du cou avec une telle force qu'il devient brutalement beaucoup plus petit. Vaincu, l'esprit de Crazy Wolf retourne dans son corps...


...et se fait attaquer par le diable et ses démons. Satan se venge de son échec en lui retirant ses pouvoirs magiques.

Pendant ce temps, Marie prie pour que Dieu sauve l'âme de Crazy Wolf. Même le narrateur a du mal à y croire, et pourtant :


Crazy Wolf s'invite chez Marie, qui lui offre à manger et lui parle de Dieu. Pour résumer les quelques cases suivantes : il avoue être un voleur, violeur et meurtrier, mais se repent lorsqu'il apprend que c'est le seul moyen d'aller au paradis.

Pendant ce temps...


Margaret apprend que Crazy Wolf est chez Marie. Le Diable l'incite à le tuer.

Au même moment, Crazy Wolf révèle à Marie que son vrai nom est Billie Wolf, ce qui réfuterait mon hypothèse selon laquelle le comportement des personnages imaginaires est déterminé par leur nom si « Billie » n'était pas un prénom réservé aux plus dangereux psychopathes.

Billie Joe Armstrong, de Green Day : pas le genre de personne que vous aimeriez croiser dans la rue tard le soir



Margaret arrive chez Marie...


...tue Crazy Wolf...



...qui se retrouve au paradis parce qu'il a accepté Jésus dans son coeur juste avant de mourir. Margaret ira par contre en enfer, puisqu'elle n'a jamais cru en Jésus.

« Seul Jésus peut vous sauver », nous rappelle Jack Chick : les religions, les idoles, les cérémonies, les dieux de la nature ou la Vierge Marie vous mèneront en enfer !

Je pense que nous avons appris beaucoup de choses aujourd'hui :
  • Les Indiens d'Amérique vénèrent de faux dieux.
  • Les vieilles indiennes peuvent lancer des malédictions. Les sorciers ont des pouvoirs magiques qui leurs sont prêtés par Satan.
  • Les anges sont plus forts que les loup-garous.
  • Même le criminel le plus amoral peut connaître la rédemption et aller au paradis, pourvu que quelqu'un prie pour lui et qu'il accepte Jésus dans son coeur avant de mourir.
  • Margaret et ses enfants brûleront en enfer, par contre.
  • En fait, puisque Jésus peut tout vous pardonner, il n'y a pas de tort à tuer, violer et piller, du moment que vous acceptez le Seigneur dans votre coeur au dernier moment. En faisant cela, vous aurez même la chance de voir un véritable ange (qui vous remettra dans le droit chemin en quelques coups de poing), ce qui vous permettra de confirmer l'existence de Dieu et d'être certain de faire le bon choix.
  • Ne vénérez pas la Sainte Vierge ou vous irez en enfer.
  • Réfléchissez bien en choisissant le nom de vos enfants.

Voilà qui conclut la mise à jour de ce soir !

Pour terminer, une image presque sans rapport et une citation :


Rien ne devrait recevoir un nom, de peur que ce nom même ne le transforme.
Virginia Woolf


Le saviez-vous ? Apparemment le Schtroumpf Grognon ne l'a pas toujours été, son mauvais caractère et son surnom sont des conséquences de sa morsure par un schtroumpf noir.
Je suis curieux de savoir quelle est l'explication pour tous les autres schtroumpfs, par contre.