lundi 9 février 2009

Tranches de l'art, pt 1

Tranche de lardNote du conservateur : cette série d'articles peut, au premier abord, être prise pour un texte rédigé par une personne inculte, obtuse et complètement ignorante du monde de l'art.

Il s'agit cependant en réalité d'une oeuvre d'art conceptuelle visant à amener le lecteur à s'interroger sur les limites de ce qui peut être considéré comme de l'art, sur la liberté d'expression durant l'ère d'internet et sur l'utilisation qu'en fait l'internaute moyen.

L'œuvre originale a été achetée pour cinq millions de dollars par un collectionneur privé, qui a l'immense privilège de pouvoir la voir dans le contexte prévu à l'origine par l'artiste (sur l'écran de son vieil ordinateur portable).

Comme vous le savez déjà certainement, je suis un artiste. Ceci implique notamment que j'ai le droit de me montrer méprisant envers les gens qui n'apprécient pas ce que je fais et que tout ce que je crée se vend pour des sommes qui ne peuvent être gérées que par des superordinateurs généralement réservés à la NASA.

Prenez cette image, par exemple. Je l'ai trouvée sur internet et, après l'avoir imprimée et baptisée « La décadence de l'homme », je l'ai vendue à un musée New-Yorkais pour une somme équivalente au PIB d'un petit pays d'Afrique

Cependant, je n'ai pas pour autant perdu ma capacité à regarder les oeuvres de mes collègues avec les yeux de l'homme de la rue. Pour les besoins de cet article, je vais m'efforcer d'adopter l'état d'esprit de l'un de ces êtres primitifs et porter un regard critique sur quelques-unes des oeuvres d'art les plus brillantes de notre temps.


Un jeu vidéo artistique :
4 Minutes and 33 Seconds of Uniqueness


4 minutes and 33 seconds of uniqueness est un jeu vidéo (?) se présentant sous la forme suivante :

4min33s
Une fenêtre noire, progressivement envahie par une barre de progression blanche (presque visible à gauche sur l'image). C'est en tout cas supposé être l'aspect du jeu : je n'ai pas pu le vérifier par moi-même dans la mesure où le jeu se ferme quelques instants après avoir été lancé. J'ai au départ cru qu'il s'agissait d'un problème causé par mon ordinateur, causé par sa carte graphique trop peu puissante pour gérer le jeu correctement ou une incompatibilité avec Windows Vista.

Windows VistaASTUCE N°1 : utilisez un autre OS

Une lecture plus approfondie des règles du jeu (SPOILERS) m'a révélé la cause de ce bug apparent. Le principe du jeu est simple : après 4 minutes et 33 secondes passées à regarder une fenêtre se remplir progressivement de blanc, le joueur gagne si aucune autre personne dans le monde n'est occupée à y jouer. Afin de vérifier cela, le jeu se connecte automatiquement à internet pour vérifier si quelqu'un d'autre est actuellement en train d'y jouer.

Il s'agit, selon son créateur, d'une "exploration de ce qui définit un jeu". Sans avoir pris la peine de créer un programme pour faire le tour de la question, mon impression est qu'un jeu vidéo est quelque chose qui :
  • implique une forme quelconque d'interactivité
  • a des graphismes, si possible plus développés que "espace noir qui devient progressivement blanc"
  • distrait le joueur d'une manière ou d'une autre
Je n'ai pas l'impression que 4 minutes and 33 seconds of uniqueness réponde à un seul de ces critères. Il me semble même infiniment plus distrayant de regarder la barre d'avancement de l'installation d'un programme ou du téléchargement d'un fichier progresser lentement que de jouer à 4min33sec, dans la mesure où ces deux activités ont l'avantage d'avoir une garantie de récompense.

Grâce à mes incroyables talents de hacker, je suis en effet parvenu à trouver l'image qui sert de dénouement à 4min33sec. Accrochez-vous bien :


Vend_screen.bmp, le fichier qui se trouve littéralement juste à côté de 4min33sec.exe.
Je ne sais pas pourquoi quelqu'un qui a jugé utile d'ajouter "SPOILERS" dans le nom du fichier expliquant le principe de son "jeu" stupide a fait en sorte qu'il soit impossible de lancer le jeu SANS apercevoir l'image de fin.

Si jouer à 4min33s vous tente, je vous suggère de jeter un oeil à Progress Quest et/ou de vous trouver un passe-temps plus amusant et constructif, comme compter le nombre de bulles dans une bouteille d'eau pétillante ou écrire un blog.

Damien Hirst
L' impossibilité physique de la mort dans l'esprit d'une personne vivante

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur Damien Hirst. Afin de ne pas vous faire perdre votre temps, je vais commencer par les choses positives, dans la mesure où cela sera vite terminé et me permettra de passer à des choses plus intéressantes :
  1. il est doué pour donner des noms impressionnants à ses œuvres
  2. il a de jolies lunettes
Ceci étant fait, passons au reste.

Si je devais décrire L'impossibilité physique de la mort dans l'esprit d'une personne vivante à quelqu'un, je pourrais difficilement le faire autrement qu'en lui disant "imagine un requin mort se décomposant lentement dans du formol".

L'impossibilité physique de la mort et quel est l'imbécile qui donne un nom aussi long à ses oeuvres, sérieusement ? Signé Paul Binocle sur : le blog de Paul Binocle - Un glorieux et inutile dérangement d'électronsNon, je n'essayais pas d'insulter cette œuvre.
C'est vraiment un requin mort dans du formol.


Entendons-nous bien : je ne suis pas là pour débattre des mérites artistiques de cette œuvre. On pourrait objecter qu'il est à la portée du premier imbécile venu d'acheter un animal mort et de lui donner un nom pompeux comme L'éternel questionnement de l'homme sur la nature profonde de la mélancolie - mais, si c'est le cas, pourquoi Damien Hirst a-t-il été le premier à le faire et pourquoi son œuvre vaut-elle 7 millions de dollars, alors que la plupart des taxidermistes ne touchent qu'un salaire de misère ? Non, je ne connais pas le terme technique pour désigner une personne qui met des animaux morts dans du formol.

La question que je me pose ici est « comment se fait-il qu'il n'ait, en réalité, non seulement pas été le premier à y penser mais qu'en plus, son œuvre ait une valeur très largement supérieure à celle qu'il a selon toute vraisemblance plagié ? ».

« A dead shark isn't art », une oeuvre qui précède celle de Hirst de deux ans et a le mérite d'avoir un titre plus honnête et délicieusement paradoxal

Ce qui me surprend également, c'est que Hirst n'a pas baptisé son plagiat flagrant « Now it is, sucker ! » ou quelque chose de ce style. Il est en effet connu pour sa délicatesse et son savoir-vivre, ses exploits incluant :
  • une déclaration dans la presse américaine, un an après les attentats du 11 septembre, selon laquelle ceux-ci seraient « une forme d'œuvre d'art à leur façon », dont les auteurs forcent le respect et méritent des félicitations pour avoir accompli quelque chose de visuellement impressionnant que personne n'aurait cru possible auparavant.
  • le fait d'avoir mis une cigarette à l'extrémité de son sexe et de montrer le résultat à des journalistes. Plusieurs fois (mais seulement à l'époque où il avait un problème de drogue et d'alcool).
Je réalise, bien entendu, que jouer les excentriques et dire des choses controversées afin d'apparaître dans la presse est une des activités principales des grands articles actuel : c'est précisément pour cette raison que j'insulte quotidiennement mes lecteurs et toutes les choses qu'ils sont susceptibles d'apprécier. Ceci dit, je ne suis pas totalement sûr qu'un individu responsable de ce genre de pirouettes médiatiques mérite d'avoir son nom dans la même phrase ni dans le même paragraphe que le mot "génie".

Cigarette sexeArt performance !

Quelques autres œuvres d'art célèbres de Hirst :

« Beautiful revolving sphincter, oops brown painting »


« For the Love of God. »
Un authentique crâne humain recouvert d'une fortune en diamants et en platine.



La page de Wikipedia consacrée à Hirst, dont sont tirées ces illustrations, m'a également appris qu'il existait des mini-scandales quant à l'authenticité d'une partie de ses œuvres. Apparemment, il n'aurait pas créé de ses propres mains certaines des œuvres qui lui ont été attribuées et qui ont été vendues pour des sommes colossales (elles auraient simplement été créées par ses assistants, éventuellement sur base d'une de ses idées).

Ainsi, il n'aurait en fait créé que cinq des peintures de ce type-ci qui lui sont attribuées :

PointsLes années '50 comptent traîner Damien Hirst devant la justice pour leur avoir volé leurs papiers peints

Hirst s'est justifié en expliquant : "I couldn't be fucking arsed doing it". Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que cela signifie parce que mon dictionnaire d'anglais (Ye Olde Englische) a été imprimé avant la naissance de Gutenberg et contient principalement des mots comme "Forsooth" et "Natheless", mais je crois comprendre que cela implique des actes inavouables avec un âne.

Ceci m'amène à mes dernières questions pour aujourd'hui :

1) pourquoi une telle oeuvre perdrait-elle sa valeur sous prétexte que son auteur n'est pas vraiment celui qu'on croyait ? Je peux comprendre que cela puisse être un problème dans le cas d'œuvres anciennes - si on me vendait un Rembrandt et que je découvrais qu'il s'agit d'un faux créé au 20ème siècle, je serais probablement contrarié qu'on m'ait vendu un objet pour touriste niais à la place d'une toile chargée d'histoire.

« ...et vous me jurez qu'elle est authentique ? »

Mais comment une oeuvre contemporaine peut-elle perdre de la valeur sous prétexte qu'elle n'a pas été créée par un certain artiste mais par son assistant, surtout si l'idée originale vient de l'artiste lui-même ? Ce n'est pas comme si les œuvres de Hirst nécessitaient un savoir-faire particulier : est-il vraiment nécessaire qu'il ait coloré lui-même les petits ronds ou jeté lui-même son requin dans du formol pour que la toile ait de la valeur ?

Si ce n'est ni l'aspect esthétique d'une œuvre ni le message que l'artiste essaye de transmettre par son intermédiaire qui vous intéresse, mais uniquement le nom du créateur, pourquoi dépenser des millions de dollars pour l'obtenir ? Je suis pratiquement certain que, pour une somme raisonnable ou une exploration approfondie de poubelles, il doit être possible d'obtenir un morceau de sandwich à moitié mangé réalisé par ledit artiste qui, dans le cas de gens comme Hirst, a de plus des chances de mériter autant le titre "d'oeuvre d'art" que le reste de ses créations.

2) quand un artiste est connu à la fois parce que ses œuvres les plus célèbres sont des plagiats et parce qu'il ne crée pas lui-même ses propres œuvres, que fait-il exactement de ses journées ? Je ne serais qu'à moitié surpris si l'un de ses assistants avait pour tâche de sélectionner à sa place les œuvres qu'il demandera à ses autres assistants de plagier.


La mode

Je ne suis pas totalement persuadé que la mode appartient au monde de l'art, mais j'ai envie d'en parler sans pour autant avoir suffisamment de choses à dire pour lui consacrer une nouvelle mise à jour entière à la mode masculine.

J'aimerais toutefois faire remarquer ceci : par définition, la mode est quelque chose de passager. Bien qu'il soit évident qu'il n'existe rien qui soit objectivement beau, qui transcende les différences entre cultures et époques, il semble indiscutable que certaines choses sont "indémodables" ou, plus exactement, qu'elles se démodent beaucoup moins vite que d'autres.

Ceci veut-il nécessairement dire qu'elles sont belles ? Non.

JeansDans cent ans, un webarchéologue déterrera cet article des tréfonds du web, s'écriera "Cet homme était un génie ! Les jeans sont toujours à la mode !" et la lecture de mon blog deviendra obligatoire dans toutes les écoles d'art. Vous verrez.

Je suis par contre d'avis que le contraire est vrai : si quelque chose n'est considéré comme beau que l'espace d'une saison et uniquement parce que des jeunes hommes et des jeunes femmes anorexiques les ont portés lors de défilés hypermédiatisés, alors cette chose est vraisemblablement aussi éloignée d'une "beauté intemporelle" qu'il est possible de l'être.

CTB


NONC'est tout ce que j'avais à dire ! Merci beaucoup de m'avoir consacré ces quelques minutes de votre temps, que vous auriez pu dédier à des activités plus constructives, comme jouer à 4min33sec of uniqueness ou enlever une à une les touches de votre clavier pour en retirer les strates de cheveux, de miettes et de sédiments divers qui s'y sont accumulés au cours des dernières années.

Si vous connaissez des œuvres qui pourraient mériter leur place dans cette série d'article ou dans la grande galerie des "armes de destruction massive de ce qui constitue l'art", n'hésitez pas à m'écrire à l'adresse :

paulbinocle@gmail.com
Évitez juste de m'envoyez un mail si c'est pour me dire "LOL Jackson Pollock" ou "WTF Duchamp???"

La même adresse peut également être utilisée pour tous les mails d'insultes ou d'explications relatives au oeuvres que j'ai critiquées, à condition qu'ils fassent plus d'une page de long et contiennent le mot "chihuahua".

Pour terminer, une image et une citation :

Rubik's faceAvec un peu de chance, cet article aura éveillé des vocations artistiques chez certains de mes lecteurs.

Il n'y a en art, ni passé, ni futur.
L'art qui n'est pas dans le présent ne sera jamais.
Pablo Picasso


Le saviez-vous ? En écrivant ma mise à jour précédente sur l'art, je croyais être drôle en imaginant "Tempus Fugit", une oeuvre d'art magistrale constituée d'un glaçon en train de fondre (et d'un perpétuel public paralysé d'admiration). Entre temps, j'ai découvert "Le son de la glace qui fond" de Paul Kos, qui est basiquement la même oeuvre mais entourée de micros.
Le pire est que je l'aime bien.

Encore un grand merci à Hervé pour la correction orthographique de cet article !


Mise à jour 22h30 : un certain Maxime J. m'a écrit :


Un grand merci à lui également - quel dommage qu'il ait oublié le mot magique (chihuahua), sans quoi il aurait pu remporter la cagnotte ! Une prochaine fois peut-être, Max !