Jack Chick rocks

Il est clair que nous vivons à une triste époque : nos valeurs se perdent un peu plus chaque jour et les jeunes n'en font plus qu'à leur tête. L'autre jour, dans la rue, j'ai vu une jeune femme dont les cheveux étaient teints en rouge - non, pas roux, mais rouge.

Je pense que cela en dit long sur l'état de déliquescence morale du monde dans lequel nous vivons.

Le coupable ? L'avènement des nouveaux médias, comme la radio et la télévision, expose nos enfants à des choses qui les poussent à s'éloigner de Dieu et du droit chemin.

Non, lecteur perspicace : ce n'est pas de Harry Potter que j'aimerais vous parler aujourd'hui, mais d'une autre nouvelle menace, plus insidieuse encore, qui risque de transformer nos enfants en sorciers satanistes sodomites : le rock'n'roll.

Heureusement, mon autorité morale et dessinateur préféré, Jack Chick, a écrit un tract consacré à cette nouvelle menace :

Par Jack T. Chick

« Anges ? » Nous interroge la couverture du tract, qui montre ce qui semble être un albinos en feu tenant une guitare électrique. Je ne veux pas vous révéler tous les détails de l'intrigue avant que vous l'ayez lu mais, au cas où il y aurait des personnes cardiaques parmi vous susceptibles de ne pas résister au choc de cette révélation, je préfère vous prévenir tout de suite que la réponse à cette question est "non".

Une fois n'est pas coutume, ce tract a été intégralement traduit en français par l'entreprise qui publie les créations de Jack Chick.

Au passage, je viens seulement de remarquer que si Jack Chick n'insistait pas pour ajouter le "T" de son second prénom partout, il aurait les mêmes initiales que celle de l'incarnation de Dieu sur Terre.

James Cameron, en train de faire disparaître une femme lors de l'un de ses célèbres tours de magie/miracles

L'histoire commence un soir, devant une église...

Un groupe de jeunes vient de donner un concert dans une église, mais ils se sont fait escroquer par un pasteur avare. Pire encore, quelqu'un a maladroitement dessiné un rectangle blanc et le nom "LES ANGES VERTS" avec Microsoft Paint sur leur camionnette pendant qu'ils jouaient.

La raison pour laquelle ils n'ont pas été payés totalement est révélée : le pasteur n'aimait pas leur musique « rock », malgré les paroles de Jésus qu'elle contenait, ce qui me mène à penser que le pasteur ne savait pas ce qu'était le rock avant de les inviter à jouer dans son église.

Je ne suis pas spécialiste en ecclésiastologie, mais inviter des rockeurs dans la maison de Dieu sans savoir en quoi consiste ce qu'ils font doit à peu près être l'équivalent d'inviter accidentellement un strip-teaseur à la fête d'anniversaire de votre fille de 8 ans.

Quoi qu'il en soit, un mystérieux étranger s'immisce dans leur conversation en les traitant d'idiots, ce qui est le moyen que j'utilise généralement pour briser la glace aussi.

Il fait immédiatement suivre son insulte d'un compliment : « Les Anges verts, j'adore ce que vous faites ! » et les encourage à se déchaîner davantage s'ils veulent atteindre des sommets.

Son chapeau disparaît mystérieusement alors qu'il se présente : Zébuth.

Pour que la lecture de ce blog soit une expérience enrichissante, j'aimerais partager avec vous une petite partie de mon savoir, acquis au fil des ans : si vous rencontrez un homme appelé « Bill Zébuth » ou une femme appelée « Lucie Fair » ou encore « Elsa TanC'estEnFaitLeDiable », et que le monde qui vous entoure est en noir et blanc et mal dessiné, méfiez-vous ! Vous êtes dans un tract de Jack Chick et allez finir votre vie dans une case où un Dieu sans visage vous explique qu'il ne faut pas accepter les bonbons offerts par des étrangers.

Ou, en l'occurrence, des liasses de billets de banque. Grâce à eux, Zébuth convainc les Anges verts de venir jouer chez lui...

Monsieur Zébuth a un joli penthouse, ce qui pousse un des membres les plus perspicaces à déduire qu'il a beaucoup d'argent. Qui eut cru qu'un homme payant 2000$ pour faire venir jouer des rockeurs ratés chez lui (sans craindre les plaintes pour tapage nocturne de ses voisins) était riche ?

...attendez, s'il est si riche, que faisait-il dans le même restaurant que ces andouilles qui n'ont pas de quoi payer leur loyer ? Et comment a-t-il pu les entendre jouer dans une église s'il est le diable en personne ?

Désolé pour le spoiler, mais il s'agit effectivement du Diable en personne : Zébuth abandonne rapidement la subtilité et promet aux anges verts succès, drogues, femmes et voyages en première classe s'ils signent un contrat avec leur sang.

Il révèle même que son prénom est Bel-Saïr, ce qui fait de lui... Bel-Saïr Zébuth !

Les anges verts font la seule chose raisonnable étant donné les circonstances, à savoir se moquer de lui lorsqu'il annonce qu'ils viennent de signer un contrat signifiant qu'ils lui appartiennent corps et âme.

Si Dieu les envoie en enfer à la fin, il n'y a vraiment pas de justice. Tout cela ne serait pas arrivé s'il ne les avait pas créés aussi bêtes.

Comme la plupart des méchants dans James Bond, le Diable est tellement sûr de tenir nos héros en son pouvoir qu'il leur révèle son plan ~~diabolique~~ machiavélique. Contrairement à la plupart des méchants dans James Bond, c'est effectivement le cas :

Il contrôle l'industrie du disque et domine des milliards de gens grâce au pouvoir de la musique.

Honnêtement, je crois que personne n'aura attendu la sortie de ce tract pour déduire que le Diable se cache derrière l'industrie du disque.

Son organisation, d'envergure mondaine (il y a une faute de frappe dans le tract) se nomme « Rock meurtrier » et a créé Elvis Presley, les Beatles et bien d'autres encore pour générer des hippies et des protestataires.

Mais ce n'est pas tout :

Il était également derrière Black Sabbath, Kiss et Motley Crue, l'objectif de sa musique étant de pousser les gens au meurtre, à la débauche et au suicide, comme expliqué dans Romains 1.20-31. Je n'avais jusqu'ici jamais songé à chercher des critiques musicales dans la Bible, mais si Saint Paul a écrit que Kiss mène au suicide des siècles avant la création du groupe, qui pourrait lui donner tort ?

C'est littéralement parole d'évangile, apparemment

Je ne sais pas si, à ce stade, ils ont réalisé que c'est au Diable qu'ils ont affaire ou s'ils attendent encore que des cornes et une queue fourchue lui poussent brutalement, mais ils sont quatre et il est seul. Pourquoi ne pas essayer de se jeter sur lui pour récupérer ce contrat et le détruire, au lieu d'accepter de devenir des outils dans son terrible plan visant à transformer les gens en meurtriers débauchés suicidaires grâce à de la musique ?

Le Diable aime bien s'écouter parler et rit de ses propres blagues, ce qui est l'un des symptômes les plus fiables de la démence. Je ne suis pas s'il est supposé y avoir un silence gêné entre le moment où il s'exclame « ha! ha ! » et celui où il dit « Continuons » ou s'il est supposé dire cela d'une traite avec le naturel d'un méchant de série B.

Le rock tue l'amour, transforme les gens en zombies, rend ses adeptes prêts à mourir pour lui et ne cède pas sa place aux vieilles dames dans les transports en commun. Afin de s'assurer qu'aucune confusion ne soit possible, Jack Chick prend le soin de préciser que l'Église dont il est question est celle de Satan. Vous vous demandez peut-être pourquoi j'explique ce qui se passe dans chaque case alors que ce tract-ci a été traduit en français et que vous comprenez donc tous ce qui y est dit. Pour tout vous dire, moi aussi.

Je crains personnellement que le message transmis par les tracts de Jack Chick soit encore trop subtil et échappe à certains lecteurs. Quelques annotations supplémentaires pourraient être salvatrices :

Le temps passe et l'heure du premier grand concert des Anges verts arrive :

Jack Chick nous prouve ici une fois encore sa connaissance aiguë du milieu qu'il critique.

Bien sûr, ce succès a un prix (en plus des tympans des auditeurs) :

Je ne suis pas tout à fait sûr de comprendre ce qui se passe ici. Voilà mon interprétation de la seconde case : Bobby, le membre blond du groupe, va épouser un homme. Le Diable désapprouve cette union, mais Bobby dit au Diable que puisqu'il est désormais célèbre et vaut plus que lui. Belzébuth, qui est un homme raisonnable, propose un compromis : le mariage aura lieu, mais ils auront le SIDA.

Au-delà du dialogue complètement surréaliste, j'ai du mal à concilier ces événements avec le contenu des autres tracts de Jack Chick : je croyais que le diable promouvait l'homosexualité et que le SIDA était une punition pour les gens qui ont des relations sexuelles en dehors du mariage ? Pourquoi Belzébuth chercherait-il à empêcher l'une de ses rock stars de se marier à un homme et pourquoi lui offrirait-il le SIDA comme cadeau de mariage ?

Chercher une cohérence entre les différents tracts de Jack Chick revient à résoudre trois puzzles différents dont les pièces sont mélangées. Dans le noir.

En trois mois, le SIDA a transformé Bobby en mort vivant. Ceci inquiète l'un des autres membres du groupe, mais pas l'autre, qui lui confie qu'il n'a rien à faire des amis.

Quelqu'un pourra-t-il les sauver à temps ? Par chance, une croyante prie le Seigneur d'ouvrir la mer des fans pour qu'elle puisse s'approcher de l'un d'eux.

Dans la continuité de sa tradition consistant à ne nommer les personnages de ses histoires que lorsque celles-ci se terminent, Jack Chick nous révèle le nom du héros de celle-ci : Tom.

Il était grand temps qu'une intervention de quelques secondes donne instantanément la fois à l'un de ces mécréants !

La gentille croyante dit à Tom que Jésus l'aime. Il ne devait par contre pas beaucoup aimer Jim, étant donné qu'un problème cardiaque le fait brutalement étouffer sur scène. Au-delà des bizarreries de son anatomie, on ne peut qu'admirer la politesse d'un homme qui prend la peine de ne pousser des grognements de douleur qu'entre parenthèse.

Fin tragique : Bobby est mort du SIDA en un mois, Jim est mort d'une overdose (?) qui a fait étouffer son coeur et Don est... un vampire ?

Je prendrais cela pour une métaphore s'il ne s'agissait pas d'un tract de Jack Chick, l'homme qui diabolise littéralement les gens qu'il n'aime pas. Don est un vampire. Don, l'homme chez qui Tom venait d'aller se plaindre qu'un de ses amis ressemblait à un "mort-vivant".

Pourquoi est-il un vampire ? Quel rapport le vampirisme a-t-il avec le monde du rock ? Ces questions trouveront-elles une réponse dans les deux dernières pages du tract ?

Jim trouve dans sa poche un livret glissé par la gentille croyante. Un livret qui est... un tract de Jack Chick. Je ne pense pas que l'on puisse tomber plus bas, ce qui signifie selon toute vraisemblance que c'est précisément ce qui va arriver dans l'image suivante.

Le Diable apparaît et rappelle à Tom qu'il lui appartient corps et âme, mais Tom a subitement découvert Dieu en ouvrant brièvement un tract de Jack Chick. Il appelle donc Jésus à la rescousse, ce qui a pour effet de transformer la tête de Bel Zébuth en tête de Satan grimaçante et en couleur.

Les tracts de Jack Chick sont toujours en noir et blanc, mais il a apparemment jugé nécessaire d'imprimer en couleur le visage de cette apparition précise du Diable. Même ses dents sont rouges. Je ne sais pas quel était l'effet recherché. Je n'ai pas l'impression qu'il ait été atteint.

L'épilogue va bien entendu répondre aux questions restées en suspend : suffit-il vraiment d'appeler Jésus au secours pour vaincre définitivement le Diable ? Que va-t-il arriver à Don, le vampire ? Dans l'univers des tracts de Jack Chick, les tracts de Jack Chick sont-ils en couleur ?

...non : nous avons droit à une explication de Tom au sujet du rock, pour nous rappeler qu'il s'agit d'une invention démoniaque au cas où nous l'aurions oublié.

Le seul moyen d'échapper à l'emprise du rock est de crucifier sa chair pour mourir en soi-même puis de brûler tout le matériel associé au rock de près ou de loin. Je laisse au lecteur le soin de décider quelles sont les parties de cette phrase à prendre au pied de la lettre mais, si vous avez lu les autres tracts de Jack Chick, vous devez savoir que votre libération passera nécessairement par l'emploi d'un briquet.

Vous savez ce qu'il vous reste à faire !